Les cas d’itinérance chez les ex-enfants de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) seraient encore plus nombreux que ce que l’on croyait. Une nouvelle étude révèle que 33 % des jeunes qui sortent d’un placement avec la DPJ connaissent au moins un épisode d’itinérance avant l’âge de 21 ans.
Ces résultats-là ne nous surprennent pas
, affirme tristement l’un des auteurs de l’étude, Martin Goyette, professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP) et cotitulaire de la Chaire de recherche sur la jeunesse du Québec.
Non seulement le tiers des ex-placés de la DPJ connaissent l’itinérance, mais parmi eux, 36,6 % n’ont pas eu de toit pendant plus d’un mois, indiquent les travaux du professeur Goyette.
Ces données, obtenues en suivant le parcours de centaines de jeunes de la DPJ durant quelques années, viennent donc dresser un portrait encore plus sombre qu’une étude de 2019, qui fixait à 20 % la proportion d’ex-jeunes de la DPJ ayant connu l’itinérance.
« La sortie de placement mal planifiée et mal soutenue fait partie des facteurs de risque importants quand on réfléchit à la prévention de l’itinérance chez la jeunesse. »
– Martin Goyette, professeur à l’ENAP
L’équipe du professeur Goyette a aussi fait d’autres constats troublants. D’abord, la stabilité résidentielle de plus de la moitié des jeunes de leur échantillon s’était détériorée avec le temps.
L’itinérance était aussi beaucoup plus prévalente (44,3 %) chez les jeunes ayant vécu dans des milieux de placement collectif, comme des foyers de groupe ou des centres de réadaptation, que chez les jeunes ayant vécu en famille d’accueil (18,5 %).
Des facteurs de risque
De manière générale, M. Goyette et son équipe ont observé que les jeunes hommes sont plus nombreux que les jeunes femmes à déclarer avoir vécu de l’itinérance.
Les jeunes femmes ne sont pas épargnées pour autant : elles sont proportionnellement plus nombreuses à avoir expérimenté de l’instabilité résidentielle, c’est-à-dire à avoir vécu dans au moins trois lieux différents au cours d’une même année.
Par ailleurs, l’itinérance vécue par les jeunes est corrélée avec des facteurs de vulnérabilité. Les jeunes qui indiquent avoir connu au moins un épisode d’itinérance connaissent beaucoup plus de problèmes importants de santé mentale
, illustre par exemple le professeur Goyette.
« Notre rapport montre que 53 % des jeunes qui sont en situation d’itinérance indiquent avoir eu un problème important de santé mentale dans la dernière année. Pour ceux qui sont en stabilité résidentielle, ce n’est qu’un peu plus de 30 %. »
– Martin Goyette, professeur à l’ENAP
Les démêlés antérieurs avec la justice sont aussi corrélés avec l’itinérance puisque 44 % des jeunes ayant connu la rue avaient été arrêtés par la police au cours de l’année précédente, contre 25 % de ceux qui n’avaient pas de problème de stabilité résidentielle.
Des actions
Deux mois à peine après l’adoption d’une réforme des services de protection de la jeunesse, au Québec, le professeur Goyette est d’avis que ses travaux doivent sonner l’alarme : Le choix est un choix politique. Les données de recherche sont claires.
Le ministre responsable du dossier, Lionel Carmant, s’est engagé à réformer le programme qualification jeunesse, qui prépare les jeunes de la DPJ dans leur transition à la vie adulte.
Or, la Commission Laurent sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse recommandait d’aller encore plus loin. Elle suggérait de créer de nouveaux programmes pour améliorer véritablement les services post-placement jusqu’à l’âge de 25 ans.
« C’est un choix de société que nos parlementaires doivent faire afin […] que les jeunes sortant de placement, qui sont parmi les plus vulnérables, puissent connaître une insertion qui favorise leur transition et leur participation pleine et entière à la société. »
– Martin Goyette, professeur à l’ENAP
La directrice générale de l’organisme Dans la rue, qui lutte contre l’itinérance, croit elle aussi que l’accompagnement vers la vie adulte ne suffit pas. C’est vraiment de la prévention en amont qu’il faut faire, et pas juste de la préparation à la sortie
, dit Cécile Arbaud.
Selon elle, les travaux du professeur Goyette collent tout à fait à la réalité sur le terrain. Parmi les jeunes usagers des refuges, la moitié sont d’abord passés par le réseau de la DPJ, estime-t-elle. On sait que c’est une porte d’entrée malheureusement un peu trop fréquente.
« Si on considère que les jeunes sont adultes et sont autonomes à 18 ans quand ils sortent, pourquoi devraient-ils se retrouver dans des situations d’itinérance? C’est juste une question de dignité. »
– Cécile Arbaud, directrice générale de l’organisme Dans la rue
Ça coupe tous les projets de vie
Mme Arbaud invite à prendre conscience que si l’itinérance touche particulièrement les jeunes avec un parcours de vie difficile, elle ne fait que rendre la suite des choses encore plus difficile pour ces mêmes jeunes.
Si on est en instabilité de logement, c’est très difficile de reprendre le contrôle sur sa vie, d’aller à l’école, de trouver un emploi, de régler ses problèmes de santé mentale.
« L’itinérance n’améliore rien. »
– Cécile Arbaud, directrice générale de l’organisme Dans la rue
L’itinérance va créer des problèmes de grande instabilité, de grande anxiété, de dépression. [Elle] va entraîner une automédication, des problèmes de santé mentale, une difficulté d’accès encore plus grande à des soins, par méfiance envers les institutions
, énumère Mme Arbaud. Il faut un travail énorme pour rebâtir la confiance.
Plus on a de difficultés, plus c’est difficile de retourner à l’école, plus c’est difficile de trouver un emploi, plus on est ballotté entre différents logements avec une incertitude à chaque fois. […] Ça coupe tous les projets de vie qu’il peut y avoir.
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