Source : Radio-Canada

31 octobre 2024
Lesley Hill, qui siégeait à la commission Laurent et a été cadre supérieure dans le réseau de la santé et des services sociaux, est la nouvelle directrice nationale de la protection de la jeunesse au Québec, un réseau mis à mal par différents scandales.

Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel

La nouvelle directrice nationale de la protection de la jeunesse, Lesley Hill, admet être « tombée en bas de [sa] chaise » devant les scandales qui secouent la DPJ. Face à la presse, jeudi, elle a martelé qu’« il n’y a aucun compromis à faire pour le bien-être des enfants et des familles ».

La DPJ, pourtant, elle la connaît. Les services sociaux aussi. Elle a été cadre supérieure dans ces réseaux et a siégé à la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, que présidait Régine Laurent.

Elle admet avoir été estomaquée par les histoires qui sont sorties dans les médias concernant la DPJIl ne faut jamais tolérer l’intolérable a été son premier message en conférence de presse jeudi, en présence du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, dont tant le Parti libéral du Québec (PLQ) que Québec solidaire (QS) réclament la démission au vu de ces scandales.

« On se dit : mais comment on peut être rendus là au Québec? On doit faire différemment, on doit faire autrement. »

— Lesley Hill, directrice nationale de la protection de la jeunesse

Celle qui a dirigé le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal et les centres de la jeunesse et de la famille Batshaw – deux gros morceaux du réseau dans la métropole – estime que le diagnostic des maux de la DPJ est fait. Il tient dans les quelque 500 pages du rapport de la commission Laurent. Donc, c’est le temps de se mettre en action, dit-elle.

Mais il faudra réfléchir en accéléré pour les enfants qui tombent entre les mailles du filet, dit Lesley Hill, qui s’engage à la transparence, notamment en mesurant les résultats des actions entreprises.

La transparence : défi ambitieux dans un contexte si trouble que la police doit parfois enquêter. Comme au centre de réadaptation Cité-des-Prairies, où neuf éducatrices auraient commis des inconduites de nature sexuelle à l’encontre de jeunes ayant commis des crimes graves.

Nos centres de réadaptation ont manqué d’amour, estime Lesley Hill, et on ne parle pas juste de toits qui coulent. Une référence au Centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation du Mont Saint-Antoine, dans l’est de Montréal, où 150 jeunes doivent impérativement être déménagés, selon la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).

Les pratiques en réadaptation doivent être revues, insiste la nouvelle directrice nationale, qui succède à Catherine Lemay, dont le ministre Carmant a obtenu la démission lundi.

Tout ne va pas mal à la DPJ, de l’avis de Lesley Hill, qui est capable de citer de mémoire et sans hésiter que la moitié des enfants en protection de la jeunesse sont suivis chez eux dans leur famille et leur communauté et que l’autre moitié est placée [en familles d’accueil]. Parmi ces derniers, au moins 40 % vivent dans des familles d’accueil de proximité : une tante, une grand-mère, etc.

« Ce n’est pas vrai qu’il faut grandir dans un centre de réadaptation. On ne peut pas institutionnaliser nos enfants au Québec. »

Une citation deLesley Hill, directrice nationale de la protection de la jeunesse

Neuf éducatrices sont visées par des allégations d’inconduites sexuelles à la Cité-des-Prairies, dans l’est de Montréal, une situation qui fait l'objet d'une enquête policière. (Photo d'archives)

Photo : Ivanoh Demers

Intervenants et gestionnaires doivent dénoncer l’intolérable

Lesley Hill dit avoir confiance en ses troupes, mais elle leur rappelle qu’en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), les gens sont tenus de signaler des situations qui sont inacceptables. Et avant de dire qu’il revient aux garderies, aux écoles et à la police de dénoncer (bien que cela leur incombe aussi), la DPJ doit devenir exemplaire dans son propre réseau, prévient-elle.

Dans ce réseau, ceux qui ne trouvent pas de soutien auprès de leur conseiller clinique ou de leur chef de service doivent trouver d’autres moyens pour parler, dit Mme Hill. Elle entend parler au Protecteur du citoyen le plus rapidement possible afin de protéger les gens qui lancent des alertes.

Face à la pénurie de main-d’œuvre, Lesley Hill reconnaît n’avoir aucune baguette magique pour inventer des centaines de personnes.

« C’est un peu un cercle vicieux : plus qu’il y a des affaires qui « pètent » dans le journal, plus le monde [à la DPJ] se sent déprimé, découragé, part en maladie ou décide d’aller ailleurs. »

— Lesley Hill, nouvelle directrice nationale de la protection de la jeunesse

Quant au personnel en place, il doit être soutenu pour jouer son rôle, dit-elle, énumérant la nécessité de la formation, de l’encadrement, de la supervision clinique et des pratiques exemplaires.

La réforme Barrette a fait mal

La protection de la jeunesse a souffert des diverses réformes qui lui ont été imposées, dit sans ambages Lesley Hill, qui cite notamment celle de 2015, œuvre de l’ex-ministre libéral de la Santé et des Services sociaux Gaétan Barrette.

Je regarde juste la disparition de l’Association des centres jeunesse du Québec, en 2015; c’est cette instance-là qui s’assurait de l’harmonisation des pratiques cliniques, qui rédigeait les guides de pratiques, qui animait les tables de concertation pour que les différents directeurs puissent se concerter.

« Tout ça s’est effrité avec la réforme de 2015 et, bien honnêtement, on n’a pas trouvé de solution de remplacement pour assurer la qualité des services comme on voudrait. »

Une citation deLesley Hill, au sujet de la réforme de la santé et des services sociaux de 2015

Une nouvelle réforme est en branle avec Santé Québec, qui prend son envol vendredi en intégrant les établissements un peu partout au Québec. Il est à noter que Régine Laurent siège au conseil d’administration de cette nouvelle agence que dirige Geneviève Biron, ex-PDG de Biron Groupe Santé.

Je viens ici pour corriger le tir

En conférence de presse, jeudi, Lesley Hill n’a pas manqué d’être questionnée sur la marge de manœuvre dont elle disposera, ou pas, vis-à-vis du gouvernement de François Legault qui l’a nommée directrice nationale de la DPJ, mais aussi sous-ministre associée.

Est-elle installée sur un siège éjectable? C’est possible, répond-elle, imperturbable, mais moi, je n’ai rien à perdre.

« Je ne me gênerai pas pour dire ce que j'ai à dire », a promis jeudi Lesley Hill quand on lui a demandé si elle disposera de la marge de manœuvre nécessaire pour mener à bien sa tâche colossale au sein de la DPJ. La nouvelle directrice nationale affirme en avoir discuté avec le ministre Lionel Carmant, « qui était d'accord ».

Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel

« Je viens ici pour corriger le tir et aider les enfants du Québec. »

— Lesley Hill, nouvelle directrice nationale de la protection de la jeunesse

Rien à perdre puisqu’elle était à la retraite lorsque Lionel Carmant l’a sollicitée pour prendre au bond ce qu’elle qualifie de défi de taille.

Je n’ai pas besoin d’une carrière, j’ai fait ma carrière, explique-t-elle. Et sous le regard placide de Lionel Carmant, Lesley Hill a dit trouver courageux, de la part du gouvernement, de mettre une fille comme elle dans un poste comme ça.

En effet, elle a l’intention de dire ce qu’elle pense, même derrière des portes closes quand elle le jugera bon. Lesley Hill reconnaît ne pas avoir l’intention de « blaster » le gouvernement sur la place publique. Mais dire ce qu’elle pense pour défendre les enfants, ça oui : Je l’ai toujours fait, même à l’intérieur du réseau.

Le politique et le clinique doivent être séparés pour que le monde puisse travailler, tranche-t-elle, estimant qu’elle n’est pas responsable de tout ce qui se fait sur le plan politique.

Sincèrement, moi, je veux servir les enfants les plus vulnérables du Québec, dit-elle. Et elle ajoute : Jugez-moi par les résultats qu’on va produire.

Lionel Carmant sur la sellette

À la période des questions à l’Assemblée nationale, jeudi, les problèmes accablants de la DPJ au cours des dernières années ont été énumérés par le chef intérimaire de l’opposition officielle, Marc Tanguay, qui a conclu en demandant pourquoi le ministre responsable des Services sociaux n’avait pas agi.

Effectivement, a commencé le premier ministre François Legault, il est arrivé un drame à Granby…

Au printemps 2019, dans cette ville, les défaillances du réseau de la protection de la jeunesse avaient été mises en lumière par la mort tragique d’une fillette. Une affaire qui connaît encore des rebondissements en cour de justice.

C’est dans la foulée du décès de cette enfant qu’avait été créée la commission Laurent, qui a clos ses travaux en formulant une soixantaine de recommandations.

Mme Laurent avait elle-même dit que ça prendrait environ dix ans pour changer la culture [à la DPJ] et mettre en place toutes les recommandations, a poursuivi François Legault, jeudi.

Le ministre Carmant a commencé à les mettre en œuvre, a assuré le premier ministre, qui se refuse à demander la démission de ce dernier, comme l’ont successivement réclamé le PLQ et Québec solidaire.

Jeudi, le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard a déclaré n’avoir pas senti le ministre Carmant suffisamment ébranlé par les maux qui minent la DPJ, à la suite d’une conversation qu’il dit avoir eue avec lui. M. Carmant n’a pas démontré l’urgence nécessaire cette semaine, a critiqué le député de Saint-Henri–Sainte-Anne.

Immigration et DPJ

Interrogé plus tôt cette semaine sur la crise à la DPJ, le premier ministre Legault avait déploré une explosion de la demande due à la pandémie, à la drogue et à l’explosion du nombre d’immigrants temporaires.

Le ministre Carmant avait repris ses propos, mercredi, avant d’être forcé d’admettre, jeudi, que le gouvernement ne possède aucune donnée sur le nombre de signalements à la DPJ qui concernent des immigrants. On n’a pas de chiffres, a-t-il reconnu, mais partout où je vais au Québec, les gens me disent qu’il y a quand même un grand nombre de signalements pour les nouveaux arrivants.

Interpellée à son tour, Mme Hill a déclaré qu’il ne fallait pas faire de lien direct avec l’immigration.

Ce que je dirais, par contre, c’est qu’il y a manifestement des populations qui sont surreprésentées en protection de la jeunesse. Ça dure depuis des années. On peut penser aux enfants noirs, autochtones, a-t-elle précisé.

tion et on n’a pas les impacts souhaités, met-elle en garde.

Ouvrir en mode plein écran En mai 2019, dans la foulée de la mort d'une fillette à Granby dans des circonstances tragiques, François Legault avait créé la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, dont il avait confié la présidence à Régine Laurent. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Il manque un porteur de vision

Lesley Hill estime que des progrès ont été enregistrés depuis le dépôt du rapport de la commission Laurent.

Par exemple, le législateur a intégré la quasi-totalité des recommandations de la commission dans les modifications qu’il a apportées à la LPJ. De l’argent a été injecté dans divers programmes pour la petite enfance et pour accompagner les jeunes de la DPJ dans leur transition vers la vie adulte, dit-elle encore.

Mais ce qui manque, c’est un porteur de vision, a-t-elle déploré.

Derrière les recommandations de la commission Laurent, il y avait une vision de transformation, a-t-elle expliqué. Transformer la DPJ ne se fait pas comme si l’on cochait chacun des éléments d’une liste : fait, fait, fait.

En agissant ainsi, il n’y a pas de vision de transformation et on n’a pas les impacts souhaités, met-elle en garde.