Source : Fernando Rotta, Responsable de l'analyse politique ROCAJQ

3 février 2025

Les tarifications que le gouvernement américain veut imposer au Canada auront des conséquences majeures sur les plus vulnérables. La solidarité doit être au premier plan. Le ROCAJQ demande à ses membres de l’informer des possibles impacts sur le terrain afin de renforcer son plaidoyer.

L’imposition des taxes par le président américain Donald Trump a été une réalité pendant environ 48 heures. Samedi, le 1er février, il a imposé des tarifications douanières de 25%, non seulement à ses voisins, Canada et Mexique, mais à deux de ses principaux partenaires commerciaux. Finalement, le président a décidé de repousser la mesure de 30 jours. Les tarifications entreront en vigueur à partir du mois de mars.

Tous les articles traversant la frontière vers les États-Unis seront soumis à une taxe de 25%. C’est vraiment une page de l’histoire qui vient d’être tournée, car les chaînes d’approvisionnement, de production et de distribution américaines et canadiennes sont tellement amalgamées qu’il est compliqué de comprendre l’ampleur de cette « amitié » de longue date. Environ 75% des exportations canadiennes arrivent en sol américain.

Pour bien illustrer l’impact, prenons l’exemple d’une petite entreprise familiale de cinq employés. Sur le plan pratique, une petite fabrique artisanale de yogourts dans l’état américain du Maine, qui importe pour 1 000 $ de lait par jour du Québec, devra désormais payer 1 250 $ pour la même quantité du produit. Cette augmentation de 25% du coût des matières premières affecte immédiatement son industrie. La propriétaire de l’entreprise doit alors faire un choix : répercuter ces coûts sur les consommateurs tout en cherchant un nouveau fournisseur pour son lait.

Les clients qui payaient déjà environ 20% de plus pour acheter son yogourt artisanal, par rapport à ceux des grands fabricants plus compétitifs, devront désormais débourser 45% de plus. Résultat direct : Madame Yogourt perd un client sur deux.

Comme son entreprise était proche de la frontière, elle avait commencé en 2024 à exporter une petite quantité de son yogourt aux voisins du Québec. Mais pour les Québécois, l’augmentation n’est pas de 25%, mais de 50%. En effet, lorsque le lait revient des États-Unis après transformation et emballage, il subit en plus la réponse canadienne aux taxes américaines, également fixées à 25%. Ainsi, un produit qui coûtait 7 $ passe désormais à 10,50 $. Madame Yogourt perd donc tous ses consommateurs de l’autre côté de la frontière.

Cet exemple est très simple, mais les économistes soulignent que, selon l’industrie, un produit peut traverser la frontière 10 à 12 fois avant d’être finalisé. Si l’on applique 25% de taxes à chaque aller-retour, le prix d’un bien peut exploser. Par exemple, une voiture qui coûtait 50 000 $ pourrait facilement grimper à 150 000 $.

Après un mois, Madame Yogourt, qui gérait seule son entreprise, a perdu plus de 50% de sa clientèle. Elle a été forcée à revoir son organisation. Comme la demande a diminué, elle a investi pour agrandir son entrepôt afin de stocker les invendus. Pendant cette période d’adaptation, elle a dû licencier ses deux seuls employés qui n’étaient pas de sa famille et engager un consultant en ressources humaines pour l’aider – car c’était une première pour elle.

Ces deux employés ont du mal à retrouver un travail, car la situation de Madame Yogourt est celle de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME) locales des deux côtés de la frontière. Au Canada et aux États-Unis, les PMEs représentent un énorme morceau des emplois et sont paradoxalement les plus touchées par la mesure de Trump.

Ce portrait est fictif, mais réaliste. Les médias parlent beaucoup des effets économiques, mais il ne faut pas oublier que ces effets touchent avant tout des êtres humains.

Les grands joueurs du marché des yogourts ressentiront à peine l’impact. Contrairement à Madame Yogourt, ils pourront acheter leurs matières premières dans des pays non soumis aux taxes américaines. Ils payeront peut-être légèrement plus cher, mais ils n’augmenteront leurs prix que de 2% ou 3%, contrairement aux 25% de Madame Yogourt. De plus, ces grandes entreprises disposent de services en ressources humaines et en logistique capables de gérer la crise.

Qui sera le plus touché?

Les PMEs, qui ont une capacité d’adaptation bien plus limitée que les grandes entreprises, et les populations les plus vulnérables seront les premières victimes de cette mesure.

Aux États-Unis, on s’attend à des licenciements, mais au Canada, les chiffres sont encore plus alarmants. En Ontario, on estime que 500 000 emplois sont en péril. Et comme pour les employés de Madame Yogourt, imaginez qui sera le premier à recevoir une lettre de mise à pied : toujours les plus vulnérables.

Au Québec, environ 100 000 emplois seraient menacés. Actuellement, environ 200 000 personnes cherchent déjà du travail. Une telle augmentation ferait bondir le taux de chômage d’un tiers. Bien sûr, il s’agit d’une estimation, car de nombreux facteurs entrent en jeu, mais ce qui est certain, c’est que la réalité a déjà changé.

La méthode Trump peut sembler incohérente, mais elle répond à un objectif clair : imposer son agenda. En annonçant, dès le 20 janvier, qu’il mettrait en place ces tarifs le 1er février, il a semé le chaos chez ses voisins et a placé le sujet au cœur de l’actualité au Canada pendant 12 jours. En politique, imposer son agenda est un gain majeur. En déclarant ses intentions à l’avance, Trump a pu observer les réactions des gouvernements et ajuster sa stratégie.

Tiendra-t-il ces tarifs ? C’est difficile à dire. Son administration affirme que ces mesures visent à forcer le Canada et le Mexique à lutter contre le trafic de fentanyl et les cartels de drogue. Pourtant, en 2024, seuls 19 kg de fentanyl ont été interceptés à la frontière nord des États-Unis. En décembre dernier, le Canada a lancé un plan d’investissement de 1,3 milliard de dollars pour renforcer le contrôle de cette frontière, mais cela n’a pas changé la position de la Maison-Blanche, cela a seulement permis de repousser la mesure.

Le Canada et les États-Unis entretiennent une relation commerciale étroite depuis près de 90 ans. Pourtant, la guerre économique marque une rupture brutale imposée par Washington, qui sera douloureuse des deux côtés de la frontière.

Quel impact pour la jeunesse?

Les jeunes seront particulièrement touchés par cette crise. Déjà en avril 2024, Statistique Canada indiquait un taux de chômage de près de 13% chez les jeunes, soit deux fois plus que la moyenne nationale. Les emplois qu’ils occupent sont souvent précaires, moins bien rémunérés et demandent peu d’expérience. Ce sont aussi les premiers à disparaître en période de crise.

Les organismes communautaires qui travaillent avec les jeunes remarquent déjà une préoccupation accrue chez les personnes qui fréquentent leurs locaux, notamment en lien avec l’anxiété, en particulier celle liée à l’augmentation du coût de la vie. Ce type de tarification sera ressenti directement dans les prix de l’épicerie, qui sont déjà à la hausse.

L’un des signaux les plus inquiétants est l’augmentation des demandes aux banques alimentaires. Le Bilan-Faim 2024 des Banques alimentaires du Québec révèle qu’elles ont reçu 2,9 millions de demandes d’aide alimentaire pour l’année dernière. Une personne sur cinq ayant recours à ces banques alimentaires a un emploi. Cela signifie que même avec un salaire, certains ne parviennent plus à se nourrir.

Si les licenciements massifs et l’augmentation des prix à l’épicerie se concrétisent, la situation des familles en détresse empirera. Les organismes communautaires, déjà sous pression, devront faire face à une demande accrue. Malheureusement, le gouvernement québécois a entrepris des coupes dans les services sociaux, notamment en éducation et en santé. Le financement des organismes communautaires en santé et services sociaux a failli ne pas avoir d’augmentation en 2024, pour la première fois depuis 2017.

Quelle réponse adopter?

Trump impose son agenda en mettant l’économie au premier plan, au détriment des êtres humains. Il faut nommer qu’un marché du travail plus compétitif, les employeurs auront un pouvoir accru sur les travailleurs, ce qui pourrait aggraver la précarité.

Comment réagir? Il faut sensibiliser les gouvernements et la société pour tenter d’endiguer cette crise. L’instinct humain en période de crise est de se refermer sur soi-même pour survivre, mais cela jouerait le jeu de Trump.

La réponse gouvernementale devra être stratégique, mais au niveau communautaire, nous devons miser sur la solidarité envers les plus vulnérables et nos organismes. En tant que Regroupement d’organismes communautaires autonomes jeunesse, le ROCAJQ comprend que le rôle de porter la voix des organismes œuvrant auprès des jeunes aux parcours de vie différenciés est encore plus nécessaire présentement. Pour cela, nous demandons à nos membres de nous informer des possibles impacts de ces mesures dès qu’ils commenceront à se faire sentir. Cela nourrira notre argumentaire et nous permettra de vous représenter avec encore plus de légitimité.

Il ne faut pas non plus oublier le Mexique, qui subira les mêmes taxes et pourrait rencontrer encore plus de barrières que le Canada dans ses négociations avec les États-Unis.

Pour partager vos enjeux, écrivez au Responsable des communications et de l’analyse politique du ROCAJQ, Fernando Rotta.

communications@rocajq.org